À propos

WYISWYG est un projet de recherche interdisciplinaire de trois ans qui vise à documenter, d’un point de vue historique et théorique, le tournant numérique de la pratique du design graphique. Comment et quand l’ordinateur est-il devenu le principal outil de travail des graphistes ? Et quels sont les effets à long terme de ces technologies sur la pratique du graphisme aujourd’hui ?

Le projet produira des données, une chronologie, une analyse critique sur l’économie et les réseaux de distribution des logiciels WYSIWYG (acronyme de « What You See Is What You Get » : utilisée pour la première fois en 1981, l’expression désigne une catégorie spécifique de logiciels dont l’interface graphique permet de visualiser à l’écran un dessin tel qu’il sera finalement imprimé). Cette catégorie comprend les systèmes de traitement de texte, les logiciels de publication assistée par ordinateur (PAO) utilisés pour la mise en page ainsi que les logiciels utilisés pour le dessin et l’édition d’images sur ordinateur. Les interfaces et les logiciels WYSIWYG ont donné aux concepteurs et aux éditeurs un contrôle sans précédent sur la mise en page, la typographie et les éléments visuels dans les médias imprimés. En stimulant la créativité et la possibilité d’expérimenter, ces outils ont donné lieu à une pratique du design plus intuitive, plus visuelle et moins structurée, remettant ainsi en question l’exactitude du concept d’« automatisation » lorsqu’il s’agit de logiciels graphique.

La période considérée s’étend du milieu des années 1980 avec l’introduction des premiers ordinateurs personnels équipés de logiciels de conception graphique (en particulier le Macintosh d’Apple, Inc., 1984) aux discussions contemporaines concernant leur généralisation massive. L’étude se concentrera sur la Suisse et la France, dans une perspective comparative, et en mettant l’accent sur l’imbrication significative des cultures graphiques des deux pays au cours de cette période de grands bouleversements.

L’enquête historique sera articulée avec des questions théoriques contemporaines dans le cadre du développement de l’IA. WYSIWYG entend mettre en lumière des questions fondamentales de la théorie du design, telles que la relation entre la technologie et la création, et la frontière entre la maîtrise professionnelle et amateur des outils numériques « créatifs ».

Le projet s’organise en 4 axes :

Axe de recherche 1: Économie et réseaux internationaux de la révolution numérique du graphisme

Il s’agit de comprendre quand et comment les logiciels de graphisme américains ont été lancés, commercialisés et promus en Suisse et en France. Le projet se concentrera sur les logiciels les plus populaires : Aldus PageMaker (1985), Ready!Set!Go  (1985), QuarkXPress (1987), Adobe Photoshop (1991) et InDesign (1999), ainsi que sur quelques marques d’ordinateurs utilisés par les professionnels du graphisme (Macintosh à partir de 1984, PC à partir de l’introduction de Windows en 1987, Amiga en 1987). Quels logiciels ont été utilisés en premier et pour quels types de travaux ? Quels ont été les acteurs locaux de la promotion de ces outils (traducteurs des logiciels, revues, instituts de formation, sociétés de conseil…) ? Comment ceux-ci s’appuient-ils sur les réseaux de l’ère de la photocomposition ? Du point de vue des graphistes indépendants, comment l’investissement coûteux dans un ordinateur et ses logiciels a-t-il été financé et justifié ?

Axe de recherche 2: Une profession en transition

Le projet entend cerner la manière dont les outils numériques ont modifié la pratique du graphisme entre 1980 et 2000, en recueillant le témoignages de graphites actif-ves au cours de cette période charnière (histoire orale). Comment l’informatisation a-t-elle fait évoluer les activités, les gestes, workflows et espaces de travail des graphistes - en même temps que les caractéristiques stylistiques des artefacts graphiques ? Nons faisons l’hypothèse que l’adoption des outils numériques de conception graphique - en même temps qu’elle fait émerger une pratique non professionnelle de l’édition et de la communication visuelle - s’articule fortement avec les débats sur l’auctorialité et l’utilité publique qui animent le champ du design graphique au cours de ces décennies. Le projet entend ainsi mettre en lumière les démarches de certain-e-s graphistes suisses et français qui ont pu réaffirmer leur expertise par des projets auto-inités, expérimentaux et relevant d’une forme d’artisanat digital ; mais aussi la révolution silencieuse de la mise en page de presse.

Axe de recherche 3: Expérimenter avec le numérique dans l’enseignement du graphisme

Les écoles et les cursus de graphisme suisses et français ont-ils initié ou suivi la transition vers le numérique ? Comment les ordinateurs ont-ils été utilisés dans la pédagogie du graphisme, et peut-on tracer une évolution d’une formation expérimentale vers une formation plus professionnelle « prête à l’emploi » ? L’hypothèse de cet axe de recherche est que le numérique a été le catalyseur d’un renouveau pédagogique sans précédent, dans lequel l’ordinateur a été utilisé comme outil, médium et impulsion esthétique, dans le cadre d’une pédagogie hautement expérimentale. Cet axe de recherche s’appuiera principalement sur les archives de trois grandes écoles de graphisme : HGK (Bâle), ZHdK (Zurich) et Ensad (Paris), qui comprennent des travaux d’étudiantsdes programmes d’études, des brochures et des documents administratifs. L’analyse des archives sera complétée par des méthodes d’histoire orale. 

Axe de recherche 4: Au-delà du WYSIWYG. Publier pour le print et le web.

Le programme de recherche WYSIWYG est ancré dans la pratique contemporaine du graphisme, avec un regard sur l’avenir de l’impression sur le web, du codage créatif et de l’automatisation du graphisme par l’IA. Dans le sillage de l’interrogation de Taylor Conrad « What has WYSIWYG done to us ? » (1996), cet axe de recherche explore la frontière floue entre WYSIWYG et non-WYSIWYG dans le cadre de l’édition en ligne, des applications mobiles et des services d’IA. Il se concentrera sur des processus créatifs hybrides spécifiques aux technologies web et à la publication multi-supports, y compris les pratiques web-to-print (utilisation de HTML et CSS pour créer des documents imprimés) et la publication web responsive ancrée dans le cadre de la culture libre et open source. D’autre part, le paradigme WYSIWYG est resté central dans les applications de conception à large audience telles que Canva (2010), qui étendent et renouvellent la division entre la conception graphique professionnelle et non professionnelle. Nous souhaitons également étudier l’avenir du WYSIWYG à la lumière des interfaces vocales et neurales émergentes.